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Mme Bruvannes est une bourgeoise, et que son neveu contractât un mariage sans fortune lui eût paru une véritable calamité. Comme si cela n’eût pas mieux valu, pour ce gros garçon, que de passer ses nuits au tripot, que de s’abrutir de sports et de courir les filles ! Mais voilà, Mme Bruvannes est une bourgeoise. La fête lui en impose et elle a un certain respect pour les fêtards. Tandis que la pensée que son argent irait à une jeune fille sans le sou bouleversait tous ses principes.

En effet, le mariage était pour moi la seule issue, et ces dames de Sainte-Dorothée le savaient bien. L’établissement de leurs pensionnaires est le couronnement de l’œuvre d’éducation qu’elles entreprennent. Aussi sont-elles de grandes marieuses devant l’Éternel. Elles excellent à caser et à conjoindre leurs ouailles. À ce jeu de petit bonheur, elles sont véritablement émérites, mais encore, pour y réussir, leur faut-il un appoint qui me manquait. Si, sans être riche, j’avais eu une dot raisonnable, nul doute qu’elles n’eussent tiré pour moi le parti le plus avantageux. Elles possèdent de nombreuses relations, l’esprit de combinaison et d’intrigue. Elles méditent longuement et patiemment leurs projets ; elles emploient pour les mener à bien les pieuses armes du cloître. Mais que voulez-vous qu’elles fassent, quand elles n’ont pour mise au jeu qu’une jolie figure et une taille bien prise ? Tout cela n’est guère négociable. Ces sortes de mariages, fondés sur les seuls appâts de la nature, c’est le diable qui les fait. Nos bonnes mères ne s’en mêlent point. Ah ! donnez-leur plutôt quelque petit laideron, même maigrement doté ! Elles parviendront bien, malgré tout, à l’assortir. Moi, je ne présentais pas les conditions requises. J’étais inutilisable. Je m’en rendais compte. C’est alors, mon cher Jérôme, que vous êtes intervenu.