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deviendrais-je ? Je ne possédais, naturellement, aucun métier, j’avais de « l’instruction », et c’était tout. J’étais capable d’enseigner le piano, de donner des leçons de dessin et, à la rigueur, de me placer à l’étranger comme institutrice ou comme demoiselle de compagnie. Il me restait aussi la ressource de me faire cocotte. N’étais-je pas fille d’un officier supérieur ? Mais je ne me sentais aucun goût pour aucune de ces solutions. Malgré ma légèreté de jeune fille, cette question d’avenir n’était pas sans me tourmenter. J’y songeais parfois avec anxiété, la nuit, dans mon petit lit de pensionnaire, en regardant la veilleuse faire, au plafond, des ronds de lumière qui auraient bien dû être des pièces de cent sous. Pour gentille qu’elle fût, j’étais fort embarrassée de ma personne.

Il y avait bien la ressource de recourir aux amies de ma mère. Il se trouvait dans leur nombre quelques braves dames qui ne m’eussent refusé ni un conseil, ni même une recommandation. Elles venaient assez volontiers me visiter au parloir, m’apporter des gâteaux et des bonbons, s’attendrir un moment sur ma situation d’orpheline pauvre. Mais laquelle eût voulu faire pour moi davantage, laquelle m’eût aidée véritablement et efficacement à me débrouiller ? Laquelle eût consenti à se charger de moi ? Aucune n’aurait eu ce courage et cette charité, pas même l’excellente Mme Bruvannes. Et puis, assumer une pareille responsabilité ! Pensez donc, une grande demoiselle comme moi, quel fardeau et quel embarras !

Cependant, Mme Bruvannes se fût peut-être risquée, mais Mme Bruvannes avait son neveu, Antoine Hurtin, et l’idée que je chercherais peut-être à me faire épouser paralysait ses meilleures intentions à mon égard. Quoique née avec de grandes qualités et un rien de folie,