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appartement et le meubler. Elle aimait les bibelots et les objets anciens. À ce moment, Mme Bruvannes m’interpella. Très au courant de ces choses, je ne refuserais pas de guider sa jeune amie et de l’éclairer de mon expérience. Je m’étais levé et, tout en répondant à Mme Bruvannes que j’étais à la disposition de Mme de Lérins, je m’inclinai devant elle. En la regardant, je n’éprouvai aucun trouble.

Ce ne fut qu’en montant l’escalier qui conduit dans l’appartement d’Antoine que j’eus l’impression qu’il venait de survenir dans ma vie quelque chose d’extraordinaire. Brusquement, un visage me réapparut. Je tressaillis. Oui, c’était bien ses beaux yeux hardis, sa bouche un peu épaisse et mollement souriante, son nez délicat et fin ; oui, c’était bien le visage de Mme de Lérins, mais comme soudain transfiguré. Il était le même, et cependant différent. Il prenait à mes yeux un sens nouveau. Je m’étais arrêté de monter et je me retins à la rampe. Un violent battement de cœur m’avait saisi. C’était donc ce visage que j’allais aimer !

Depuis que je suis à Clessy, ma certitude s’est confirmée. À chaque minute, je suis plus sûr de mon amour. Pas un instant l’image de Laure de Lérins n’est absente de ma pensée. Toutes les indécisions de mon cœur ont pris fin, tous ses désirs ont maintenant un but, et j’éprouve en même temps une grande terreur et une grande joie. Laure de Lérins, Laure de Lérins, m’aimerez-vous jamais ? Votre ardent et beau visage se penchera-t-il sur le mien ? Réaliserai-je en vous le souhait de mes longues années d’attente et