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favorite. Elle n’ouvre plus ses vieux auteurs latins et grecs, car elle est savante latiniste, Mme  Bruvannes, et sait fort bien le grec. Elle s’était mise à apprendre ces deux langues dans l’espoir de « suivre les études » d’Antoine. Les « études » d’Antoine n’eussent pas mené loin Mme  Bruvannes, car le baron Hurtin n’est pas un humaniste, mais elle a continué pour elle seule ce qu’elle avait entrepris en vue de son neveu. Pendant des années, Mme  Bruvannes a pris chaque matin sa leçon de grec et de latin, ce qui égayait fort Antoine ; mais Mme  Bruvannes a eu bien raison de s’obstiner. Ce travail lui fut une précieuse distraction. D’ailleurs, Mme  Bruvannes n’a rien d’une pédante. Jamais elle ne fait parade de sa science, qui est réelle. Mme  Bruvannes est la plus simple et la meilleure des femmes, la créature la plus douce et la plus dévouée, malgré son physique impérieux et masculin. Avec l’âge, la légère moustache qui ombrait la lèvre supérieure s’est accentuée. Antoine était sans respect pour cet attribut : « Vois-tu, ma tante, je t’aimerais mieux avec toute ta barbe », disait-il parfois à Mme  Bruvannes, qui était la première à rire de la plaisanterie.


23 février. — J’ai trouvé hier Antoine occupé à regarder des photographies. Elles représentaient un fort beau yacht, appelé le Néréide, et qui appartient au prince de Venasque. Antoine m’a passé ces