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qui est rapportée dans plusieurs recueils, et qui a du moins le mérite d’être fort plaisante, si elle n’a pas celui d’être vraie.

Un petit boutiquier de Paris, nommé J. Cl. Bombet, fort ignorant de tout ce qui ne concernait pas son petit négoce, eut le chagrin de voir mourir le suisse de l’église Saint-Eustache, avec lequel il était très lié. Il voulut rendre ses regrets publics, en composant pour feu son ami une belle épitaphe, mais la grande difficulté était de la faire en vers, car il n’avait aucune espèce de notion sur la poésie. Il s’adressa à un maître d’école qui n’en savait guère davantage, et lui demanda quelles étaient les règles de cet art. Le magister, d’un air doctoral, lui répondit que, quoiqu’une pièce de vers dût rouler sur un sujet unique, il fallait néanmoins, autant qu’il était possible, que chaque vers pût présenter en lui-même une idée indépendante, que, quant à la rime, il était nécessaire que les trois dernières lettres du second vers fussent les mêmes que les trois dernières du précédent. Le bonhomme retint bien cette leçon, et, après beaucoup de travail, il accoucha du quatrain suivant :

Ci gît mon ami Mardoche.
Il a voulu être enterré à Saint-Eustache.
Il y porta trente-deux ans la hallebarde.
Dieu lui fasse miséricorde.

(Par son ami J. Cl. Bombet, 1727.)

Il fit graver cette sublime épitaphe sur la pierre tumulaire, et de là vint le proverbe cela rime comme hallebarde et miséricorde.

La véritable explication de ce proverbe, bien antérieur à la date de l’épitaphe, se rattache à un fait littéraire que voici. Nos anciens versificateurs regardaient deux consonnes suivies d’un e muet, comme suffisantes pour constituer une rime féminine, ce qui parut plus tard un abus auquel on remédia en exigeant que cette rime fut double et résultat du son qui se lie immédiatement à la syllabe muette. Ainsi, les rimes de hallebarde et miséricorde, qui étaient admises d’après le premier principe, furent proscrites d’après le second, et elles devinrent dès-lors le type proverbial des rimes défectueuses.