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COR

présentent le front de ce législateur décoré de cornes. Cornutant Moysi faciem, dit la Vulgate. Il est vrai pourtant que les interprètes entendent par ces cornes des croissants de feu.

N’est-il pas étrange qu’après avoir employé les cornes à des usages si respectables, on en ait fait, dans la suite, le ridicule et odieux ornement de la tête des maris trompés ? Quelle peut être la raison de cela ? Cette raison, on la trouve dans les habitudes du bouc qui supporte tranquillement la rivalité d’un autre bouc, sans le regarder même de travers, quoique Virgile ait dit, pour un cas extraordinaire, à la vérité : Transversa tuentibus hircis. Il est certain que les Grecs désignaient sous le nom de bouc, αἴξ, l’époux d’une femme lascive comme une chèvre, et qu’ils appelaient fils de chèvre les enfants illégitimes. L’expression Planter des cornes à quelqu’un leur fut même connue, car elle est dans ces mots Κέρατα αὐτὼ ποιήσαι, dont Artémidore s’est servi en son Traité des songes (liv. ii, ch. 12), où il dit que rêver de cornes est un fâcheux pronostic pour un mari. Nous apprenons en outre de l’historien Nicetas que l’empereur Andronic voulant reprocher aux habitants de Constantinople l’inconduite de leurs femmes, fesait dresser sur les principales places de cette ville les plus beaux bois de cerf qu’il pouvait se procurer.

Les Romains attachaient aussi aux cornes une signification pareille. Ils avaient l’expression Vulcanus corneus, qui répond exactement à notre mari encornaillé ; et c’est à quoi Plaute a voulu sans doute faire allusion par un jeu de mots lorsque, employant corne pour lanterne, il a dit dans son Amphitryon (act. i, sc. 1) : Quo ambulas, tu qui Vulcanum in cornu conclusum geris ? où vas-tu, toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne ?

Je puis citer encore ce vers d’Ovide :

Atque maritorum capiti non cornua desunt.

En Italie, on donne à l’époux d’une femme infidèle le sobriquet de becco (bouc), que Molière a francisé dans ces vers de l’École des Femmes (act. iv, sc. 6) :

Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu
Du trait qu’elle a joué quelque jour soit venu.