Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

trompe à Béhémoth ; si j’avais ses nageoires liées à mes anneaux, je saurais, avant que tu eusses fait un pas, ce qui gronde au fond des flots.



Léviathan.

Donc, tu ne vois rien qui soit au-dessus de nous ; nous sommes encore les maîtres ; la création s’est arrêtée à nous. Oh ! J’ai longtemps frémi de peur que les rochers en s’élevant ne nous vomissent un maître aux écailles de pierre, et qu’il ne me fallût rentrer dans l’abîme d’où je viens de sortir. Et toi, n’as-tu rien vu ?



L’Oiseau Vinateyna.

Je suis monté jusqu’à la plus haute branche de l’arbre du monde ; j’ai suivi dans son vol la plus rapide des étoiles ; je suis descendu dans les vallées jusqu’où la pluie ne descend pas ; je n’ai trouvé partout que l’alouette matinale, que les djins aux ailes noires, que le loriot qui pendait son nid à deux fils de soie, et qui berçait ses petits sur le monde naissant.



Léviathan.

Et toi, dis-nous ce que tu as vu au fond des eaux.



Le Poisson Macar.

Avec ma trompe j’ai sondé les tourbillons d’écume. Jusqu’au fond, j’ai plongé dans le gouffre de la mer : on n’entend que l’eau mugir, on ne voit que le flot verdir dans les palais de corail.



Léviathan.

Ainsi nous sommes seuls. Ni là, ni là, ni en haut, ni en bas, personne autre que nous. La fange s’est formée pour que j’y laisse ma trace à chaque pas. Le monde s’est déroulé pour que le serpent l’enveloppe de son cercle.

Maintenant que l’éternel vautour l’emporte dans ses serres, qu’il fuie avec sa proie à toutes ailes, partout, dans tous les cieux, c’est nous qui serons dieux.