t.
Les mondes sont orphelins. Aimez-les à ma place,
quand je ne serai plus.
L’Eternité.
Dans mon sein, je n’ai ni amour, ni haine.
Le Christ.
Est-ce une vierge qui vous a nourrie comme moi ?
L’Eternité.
Personne ne m’a nourrie. Je n’ai ni père, ni mère.
Le Christ.
Qui donc vous ensevelira, quand, vous aussi, vous
monterez votre calvaire ?
L’Eternité.
Je ne monte, ni ne descends ; je n’ai ni sommet,
ni vallée, ni joie, ni douleur.
Le Christ.
C’est moi qui ai tari votre douleur dans votre
puits ; c’est moi qui me suis levé avant vous
pour me rassasier des larmes de toutes choses ;
c’est moi qui ai bu toute amertume dans la coupe
du jour, dans la coupe de la nuit ; c’est moi
qui ai crié, dès le matin : donne-moi ta
tristesse, au vent qui passe, au jour qui baisse,
au flot qui coule, au soleil qui se noie, au
firmament qui se retourne sur le côté pour
soupirer. Mon calice s’est creusé lentement
dans ma main, aussi profond que le monde ;
prenez-le à ma place.
L’Eternité.
Voilà qu’il s’est brisé dans mes doigts d’airain ;
il est tombé dans le gouffre.
Le Christ.
Et moi aussi, tu m’as brisé ; ma vie était dans
mon calice ; tu l’as vidé trop tôt.
L’Eternité.