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amarré mes îles dans mes golfes, comme des pirogues toutes neuves. Sur mes torrents, j’ai jeté mes ponts de lianes où je n’ai point encore passé. Pourquoi aviez-vous fait dans ma vallée l’ombre si épaisse pour ne m’y laisser reposer qu’un soir ? Comme un enfant que sa mère berce sur une branche de palmite, l’océan me berçait sur son flot ; et j’écoutais avec la brise la plainte du vieux monde qui mourait. Ah ! Lui, s’il est las de ses longues années et de ses souvenirs, si ses tours et ses lourdes murailles lui pèsent à garder, emportez-le sur votre sommet, comme le vautour royal emporte dans ses serres le serpent à sonnettes qu’il trouve mort sur la plage. Mais moi, seigneur, mes tours sont légères, et la liane de mes forêts n’est pas plus facile à porter que la mémoire de toutes mes années. Une fleur du Mexique éclose le matin contient dans son calice toutes mes larmes. Mes rois sont de jeunes dattiers qui sont debout sur leurs montagnes ; mes nations sont des ananas sauvages qui se penchent sous leur ombre, et que personne n’a cueillis.

Seigneur, quand le condor a fait son nid sur mon sommet, avec l’écaille du crocodile, avec la laine du cotonnier, avec la canne des roseaux, il y dépose sa couvée ; et vous, votre aire est faite des flancs de mes montagnes, des troncs de mes forêts, de la goutte d’eau de mon lac, des brins d’herbe de mon champ, et des rives de mes îles. Pourquoi n’y voulez-vous pas aussi couver à loisir vos peuples sous votre poitrail, jusqu’à ce qu’ils puissent vous suivre, les ailes étendues, dans votre éternité ?



Le Père éternel.

Je t’avais fait moi-même, en creusant ta profonde vallée, un moule pour y jeter ta pensée et ton âme. J’avais envoyé tes fleuves en avant pour montrer le chemin à tes villes. Comme un maître épelle à son enfant le mot qu’il