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DU MANGEUR D’OPIUM

chez nous, Charles II. Il y eut des témoins vivants (et il y en eut plus d’un) de ses erreurs comme des leurs, mais comme il avait des sentiments meilleurs que les leurs, il ne voulut pas, en plaçant ces témoins sur un piédestal d’honneurs surmonté de trophées héraldiques, glorifier ses propres fautes devant les générations futures et obliger une lointaine postérité à se retourner pour voir ses infirmités à lui. Son ambition se bornait à être le père de ses sujets dans un sens qui ne fût pas tout à faut aussi littéral. Néanmoins c’étaient là des questions dont je ne savais rien à l’époque dont je parle.

Pendant tout cet entretien, je ne remarquai pas une seule fois cette hésitation, ces répétitions de mots qu’on attribuait généralement à Georges III, et sur lesquelles on était si généralement d’accord, que la chose devrait être vraie. Mais dans ce cas je suppose que la brièveté de ses phrases concourait à lui éviter l’embarras de prononciation, qui eût pu se produire dans les phrases plus longues ou plus compliquées, où on se préoccupe naturellement de fixer les pensées dès qu’elles se présentent. Quand nous vîmes que le roi arrêtait le torrent de ses questions qui se succédaient rapidement, nous comprîmes que c’était un signal pour nous congédier. Nous fîmes une profonde révérence et nous reculâmes de quelques pas. Sa Majesté nous fit un sourire des plus aimables et prononça d’un accent de bonté tout particulier quelques mots que nous n’entendîmes pas, agita la main de notre côté, et alors se retourna, ce que firent aussi toutes les personnes qui l’accompagnaient. Cela nous permit de nous éloigner nous-même sans impolitesse et de sortir des jardins.