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DU MANGEUR D’OPIUM

îles Madère, et en dernier lieu Saint Kitt’s, et le tout sans résultat. Il revenait maintenant chez lui pour mourir. Je me rappelle que je passai quelques semaines près de lui, pendant qu’il était étendu sur un sofa, entouré de produits des Indes occidentales étalés pour me distraire. Quelque chose de tout particulier dans l’allure et l’aspect de la maison, l’abattement marqué sur toutes les physionomies, les allées et venues sans bruit, tout cela me faisait deviner l’arrivée très prochaine d’une catastrophe. Enfin un matin j’aperçus à des indices d’une clarté suffisante qu’elle était là. Un silence de mort régnait dans la maison, on entendant à peine chuchoter, et je vis toutes les femmes de la famille pleurer. Bientôt après mes frères et moi, quatre en tout, en état de comprendre ce qui se passait, nous fûmes conduits dans la chambre à coucher où mon père agonisait à ce moment. Avait-il demandé qu’on nous fît venir ? Je ne sais. En tout cas, il avait perdu sa connaissance avant notre entrée. Il était dans le délire, de temps en temps il parlait, et toujours sur le même sujet. Il faisait l’ascension d’une montagne, il s’était trouvé en présence d’un grand obstacle qu’il lui était impossible de surmonter sans aide. Cette aide, il la demandait à différentes personnes qu’il nommait, et se plaignait de leur abandon. La personne qui nous avait amenés ensemble, souleva la main de mon père et la posa sur ma tête. Nous quittâmes la chambre, et moins de deux minutes après, nous entendîmes annoncer que tout était fini.

La mort de mon père n’apporta que peu ou point de changements dans notre vie domestique. Ils se réduisirent à ce que ma mère eut un équipage. D’ailleurs mon père, à son lit de mort, l’avait exigé.