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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

peut-être dyspeptique, et par suite hors d’état de trouver du plaisir à quoi que ce soit, des livres en six ou huit langues différentes, dont il n’a appris aucune assez complètement pour en posséder réellement, naturellement la richesse en mots, ou pour être réellement, sérieusement, en état de chercher dans cette langue des plaisirs qui ne soient pas affectés. En outre un homme qui ne vise qu’à jouir des choses, peut-il avoir une raison quelconque pour importer des superfluités étrangères, tant qu’il n’a pas goûté complètement à celles que produit le sol. Les rivières d’Abana et de Pharfar, qui coulent à Damas sont-elles supérieures à toutes les eaux d’Israël ? Sans doute on peut avoir différents motifs pour apprendre une langue, et je n’ai rien à objecter à quelques-uns de ces motifs. Mais quand on cherche les superfluités de la littérature, je comprends qu’un Danois apprenne l’anglais ; car sa littérature nationale n’est pas riche, ni très originale, et les meilleurs écrivains modernes de son pays ont la malice d’écrire en allemand, afin d’avoir un public plus nombreux. Même un Portugais, un Espagnol pourraient faire preuve d’un grand bon sens en apprenant l’anglais ou l’allemand, parce que leur littérature, pour quelques joyaux splendides, n’est pas également bien montée, dans tous les genres. Mais est-ce à ceux qui se sont nourris des présents de Cérès, de les rejeter pour des glands ? C’est retourner la vieille histoire mythologique du progrès de l’humanité. Voici, par exemple, un des départements des plus riches de la littérature anglaise, celui du drame, depuis le règne d’Élisabeth jusqu’à la guerre parlementaire : il n’existe nulle part ailleurs, et il ne se reproduira probablement jamais chez nous