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DU MANGEUR D’OPIUM

en partie l’effet de ceci, à savoir que dans les principales pièces de sa maison était répartie une petite collection de tableaux des vieux maîtres italiens. Je cite ce fait, non pas comme une preuve que l’installation de mon père fut d’une élégance exceptionnelle, mais justement pour la raison opposée, — parce que c’était un trait commun de la classe à laquelle il appartenait. Beaucoup de ses égaux possédaient des collections bien plus belles que la sienne, et je me rappelle que parmi les quelques visites où il me fut donné, étant enfant, d’accompagner ma mère, une avait pour but exprès de voir une galerie de tableaux appartenant à un négociant qui n’était guère plus opulent que mon père. En réalité, je ne puis rient citer de plus honorable pour la classe marchande que ce fait, que formant une classe opulente, vivant à leur aise et dépensant sans compter, nos négociants consacraient une très grande partie de leur dépense à des plaisirs intellectuels, très souvent à des achats de tableaux, comme je l’ai dit, — aux réceptions d’une société distinguée, — et dans une large mesure, à des emplettes de livres. Néanmoins, quoique toute la classe marchande de cette contrée menât un genre de vie à la fois libérale et élégante qui rappelait celle des négociants vénitiens, il n’y avait dans leur personne ou dans leurs installations aucune splendeur extérieure, je veux dire de celle qui frappe les yeux du public. À en juger d’après les mœurs du pays, l’administration de leurs affaires domestiques péchait par un excès de profusion ; ils avaient trop de serviteurs, et ces serviteurs étaient entretenus dans un milieu de luxe et de confortable que n’égalaient pas les demeures de la noblesse. Mais d’autre part aucun d’eux ne jouait un rôle