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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

heures du matin, et comme alors il paraissait se rapprocher, la terreur fantastique du pauvre Pink devenait insupportable, et il fallait absolument qu’il rampât hors de sa tente, qu’il abandonnât son installation somptueuse pour grimper jusqu’) un rocher, — un promontoire situé à un demi-mille de là, et du haut duquel il pouvait apercevoir le vaisseau. La seule pensée du voisinage d’hommes, quoique ces hommes fussent des bandits, le rassurait dans son épouvante. À mesure que le jour s’approchait, les bruits mystérieux se taisaient. Il n’y avait pas de chant du coq, dans ces îles Gallapagos ; du moins il n’y en avait point dans cette île-là, bien qu’on entende fréquemment le chant du coq dans les forêts d’Amérique, et que ces chants de coq pussent être entendus par les sens spirituels ; ou bien encore le bûcheron, agissant d’après le principe d’Hamlet, flairait sans doute l’air matinal, ou prêtait l’oreille au son lointain des cloches chrétiennes du matin, arrivant de quelque vague monastère dans les profondeurs des forêts d’Amérique. Cependant il en était ainsi ; la hache du bûcheron espaçait ses coups à mesure qu’approchait l’aube, et quand « la lumière s’épaississait »[1] tout avait cessé. À neuf, à dix ou à onze heures du matin, tout cela paraissait n’avoir été qu’une illusion, mais vers le coucher du soleil, on se laissait reprendre. Après le crépuscule, on y croyait, et quelques instants suffisaient pour rétablir le règne de la terreur panique et superstitieuse. Telles étaient les oscillations qui se produisaient. D’autre part, Pink, assis jusqu’à l’aurore sur son promontoire, luttait contre son épouvante

  1. Light thickens (Macbeth).