Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
DU MANGEUR D’OPIUM

ont dû par suite devenir un rendez-vous des Boucaniers et des Flibustiers vers la fin du dix-septième siècle, le furent aussi pour leurs farouches successeurs, les Pirates, au commencement du dix-neuvième siècle, à cause d’un avantage rare dans ces mers, l’abondance du bois et de l’eau. Le pavillon noir s’y rendait donc souvent, et là, parmi ces romantiques solitudes, dans ces îles inoccupées par l’homme, il restait déployé pendant des semaines. Le pillage et le massacre prenaient quelques jours de repos, et le coutelas ensanglanté dormait dans son fourreau. Quand cela avait lieu, et quand on savait à l’avance que cela devait avoir lieu, on dressait sur la côte une tente pour mon frère, et on y transportait ses chronomètres pour la durée du séjour.

L’île choisie à cet effet parmi tant d’autres qui s’offraient à eux, était, selon les circonstances, celle qui présentait le meilleur ancrage, ou les plus grandes facilités pour se rembarquer, ou l’accès le plus commode pour le bois et l’eau. Mais il en était une qui offrait la plupart de ces avantages ou leur réunion, celle que les pirates honoraient de leur clientèle et de leur préférence, c’était celle que les navigateurs américains ont nommée l’île du Bûcheron. Selon une ancienne tradition, je ne sais pas même si elle ne datait pas de Dampier — un Espagnol ou Indien qui s’était établi dans l’île, comptant trop sur la protection que lui donnerait sa parfaite solitude, avait été tué sans autre motif que le caprice des affreux bandits qui fréquentaient cet archipel désert. Avait-on commis une trahison horrible en agissant ainsi ? Était-ce à cause de la sainteté du personnage, ou de la profonde solitude de l’île, ou en