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DU MANGEUR D’OPIUM

sonnier des pirates, et s’il l’était, cela ne signifiait point qu’il fût tenu enfermé. Il allait et venait librement à bord, mais à terre il était gardé. On ne se fiait jamais à lui, excepté dans des circonstances toutes particulières. En somme, on ne le tolérait que grâce à une qualité qui le rendait indispensable à la direction du navire. Parmi les divers enseignements qu’avait donnés à mon frère son premier maître si paternel, se trouvait l’art de régler les chronomètres. Un certain nombre de ces objets, et quelques-uns de la plus grande valeur, avaient été trouvés dans le butin fait sur des Européens ou des Américains. Mon frère possédait un talent hors ligne pour s’en servir, et heureusement pour lui, il ne se trouvait parmi tout l’équipage aucun homme capable d’en tirer le moindre parti. C’est à cela, et plus tard à cette qualité uniquement, qu’il dut à la fois sa sûreté et sa liberté, car bien qu’il eût pu être épargné pendant le massacre pour d’autres considérations, il n’est pas douteux qu’au cours d’une des innombrables querelles qui surgirent pendant ses années de captivité, il ne fût tombé victime de quelque impulsion meurtrière ou inconsciente, si sa sécurité n’avait pas été protégée avec un soin vigilant par ceux qui commandaient, et par ceux qui avaient quelque souci du bien commun. Il fut donc redevable de beaucoup à cette qualité. Néanmoins, comme il n’est pas de bien sans mélange, ce grand avantage fut accompagné d’inconvénients qui s’ajoutaient à la morne monotonie de sa besogne, c’est-à-dire qu’il lui fallait tenir tête aux craintes et aux épreuves auxquelles le cœur du marin est éminemment sensible.

Tous les marins, comme on le sait, sont supersti-