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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

les qui donnaient un caractère si particulier aux comtés de Wilts, de Somerset, de Dorset, etc.) ou même à un terrain de libre pâture communale. Des terrains couverts de bruyères, il s’en trouvait encore alors en Angleterre, sur des étendues moindres en vérité, que les landes de France, mais avec le même air sauvage et romantique. Tel était le milieu où vivait mon frère, sous la direction d’un clergyman aux habitudes sédentaires, et même ascétiques, mais d’un naturel doux. Je puis l’affirmer, car dans l’hiver de 1801, je dînai avec lui, et je trouvai que vraiment son joug était léger, car même à l’égard de mon frère le plus jeune, un enfant de sept ans, extrêmement étourdi, il n’employait pas d’autre moyen de le décider à remplir quelque devoir essentiel que de lui dire : « Soyez convaincu, Monsieur, que… »

C’était bien là le milieu le mieux approprié à la nature indépendante et hautaine de mon frère. Le clergyman était un homme instruit, tranquille, absorbé par ses études, humble et modeste au delà de ce que comportait sa position, tandis que d’autre part, mon frère n’était pas capable d’oublier ce qui lui était dû au triple titre de clergyman, de lettré et de maître, et en outre, de maître aussi accommodant. Combien tous les intéressés eussent pu être heureux, que de souffrances, que de dangers, combien d’années de misère et d’angoisse eussent été épargnées aux intéressés, si les tuteurs et les exécuteurs du testament de mon père avaient jugé à propos de les laisser tranquilles, Mais per star meglio[1] ils crurent bon d’enlever

  1. Tiré de l’épitaphe italienne bien connue : Stava bene, ma per star meglio, sta qui. Il était bien, mais pour avoir voulu être mieux, il est ici.