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querelle de taverne entre particuliers, finissant par un meurtre. Mais toutes ces anecdotes détachées sont fondues en un tout, par une réflexion philosophique, où l’on exprime le regret que l’individu dont on raconte la vie, ait été amené à adopter des goûts qui l’entraînent à fréquenter une société qui le pousse également à des dépenses extravagantes, (pensée qui retourne en arrière vers le numéro 1) et qui d’autre part lui suggère des prétentions au point de vue du rang social (pensée dirigée en avant vers le numéro 2). De là résultent naturellement des insolences injurieuses qui ne sauraient être supportées par une généreuse nature. Une remarque de ce genre, intercalée entre les deux incidents (numéro 1 et numéro 2) les unit entre eux, les met en relation identique avec un principe commun, en fait les parties d’un tout ; et, sans cela ces incidents eussent été absolument isolés l’un de l’autre. Ainsi c’est grâce à la monture et non pas par les gemmes qui y sont retenues, que toute existence est ordonnée en un seul tissu continu[1]. En fait, les liens qui réunissent les différentes parties d’une existence, quand elle n’est pas celle d’un homme vulgaire ; — en telle année il fit ceci, — l’année d’après, il fit cela — doivent

  1. M. Coleridge dans son édition revue de l’Ami, a placé un Essai qui contient les éléments d’une philosophie profonde, et qu’il considère lui-même, à ce que je crois, comme le plus grand effort philosophique qu’il ait donné au monde ; il y éclaircit des principes d’une très grande analogie avec ceux-là, maie il se propose comme objet non pas tant l’art de la biographie (et même pas du tout peut-être) que l’art de la narration ; il s’éclaire d’une vive et admirable lumière, en prenant comme exemple le récit fait par Hamlet à Horatio, en ce qui regarde les aventures maritimes avec Rosencrantz et Guldenstern. J’en parle d’après un souvenir qui date de quinze ans.