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DU MANGEUR D’OPIUM

il eut secoué sa réserve, il ne parut pas dépourvu de bonté. Il m’en donna la preuve en m’invitant à boire du vin, sans regarder au prix ni à la quantité, Les élégances qu’il avait remarquées dans le peu qu’il avait pu voir de l’installation de ma mère en une visite aussi courte, l’avaient peut-être disposé favorablement en ma faveur, et si j’avais consenti à donner un pou le change sur mon âge, ou à me départir de mon excessive réserve, je ne doute pas qu’il ne m’eût admis, à défaut d’un compagnon plus en rapport avec lui, à jouir de toute sa confiance pendant le reste de la route. Le dîner terminé, et comme pour mon compte du moins, mon âge enfantin m’avait pour la première fois fait sentir les effets d’une trop grande quantité de vin, on demanda la note, le garçon fut payé avec cette libéralité prodigue qui était usuelle dans la vieille Angleterre. Nous entendîmes notre chaise qu’on amenait sous le porche, comme c’était la coutume invariable en ce temps-là pour vous éviter l’ennui d’y monter dans la rue ; vous passiez du vestibule de l’hôtel tout droit dans votre voiture. J’avais, été retenu en arrière une minute ou doux par la maîtresse de la maison et les nymphes, ses compagnes, pour être rhabillé et embrassé. En m’asseyant dans la chaise de poste, bien éclairée par des lampes, je trouvai mon jeune et seigneurial protecteur en train de causer avec l’aubergiste. Il fut d’abord question du prix des avoines, auquel les jeunes cavaliers affectent toujours de s’intéresser ; mais bientôt après on passa à un sujet qui leur tenait beaucoup plus à cœur, à savoir la réputation de la route.

En ces temps-là, où l’or n’avait pas encore dis-