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DU MANGEUR D’OPIUM

n’avez pas été retenu plus de dix minutes en tout à chaque changement de chevaux.

Alors, c’est-à-dire à la fin du dix-huitième siècle et au commencement du dix-neuvième, chaque changement de chevaux exigeait au minimum une demi-heure. À votre arrivée, il se faisait un grand vacarme pour décharger, pour ôter les harnais ; tout naturellement vous mettiez pied à terre, vous entriez à l’auberge. Faisiez-vous une sortie pour vous assurer si l’on s’occupait de quelque chose, vous pouviez attendre vingt minutes sans vous apercevoir du moindre mouvement dans les écuries. La personne la plus emportée n’eût pu rien faire pour hâter ces préparatifs. Ces habitudes traînardes tenant moins à la paresse du personnel qu’à l’organisation défectueuse et à l’absence totale de vues générales. L’allure était celle que comportait l’état des routes à cette époque, c’est-à-dire que jamais elle n’arrivait à six milles par heure, excepté sur une très grande route. Encore ne l’obtenait-on qu’en payant un supplément au conducteur. Et pourtant, avec ce système relativement piteux, quelle supériorité l’Angleterre ne présentait-elle pas comme pays de voyage, sur tout le reste du monde, à la seule exception de la Suède. Si mauvaises que fussent les routes, si défectueuse que fût l’organisation, du moins aviez-vous les avantages suivants : il n’y avait pas de ville insignifiante, pas de maison de poste si isolée qu’elle fût, qui ne fût en état, si ce n’est en temps de lutte électorale, de fournir des chevaux sans retard, et sans avoir besoin pour cela de mettre dans l’embarras les fermiers du voisinage. Sur la route la plus mauvaise, et en un jour d’hiver, avec une seule et