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DU MANGEUR D’OPIUM

ère de ma vie, et cette idée nouveau-née, étant en harmonie avec les aspirations constantes de ma propre nature, je veux dire haute et sublime, prit un grand pouvoir sur la direction de ma vie, et y produisit les effets les plus salutaires. Toujours, par la suite, pendant mon temps d’adolescence, je m’observai jalousement dans ma conduite, je me montrai plein de réserve et de respect en présence des femmes. Souvent je les révérais moins en elles-mêmes, qu’en tant qu’elles contenaient à l’état latent, mon idéal féminin, qu’il m’arrivait rarement d’y rencontrer à un développement qui ne fut pas trop imparfait. Car j’emportais avec moi l’idée, que je ne trouvai que bien rarement, réalisée d’une manière plus ou moins lointaine,


D’une femme parfaite, noblement organisée
Pour avertir, réconforter, commander.


Et à dater de ce jour-là, je fus un être modifié, désormais devenu capable de dépouiller l’insouciance, l’irréflexion d’esprit de l’enfant.

Sans doute, chaque sexe a un grand pouvoir sur le sexe opposé, et ce pouvoir est d’autant plus grand qu’ils ont plus de noblesse originelle dans leur nature. Mais je ne sais pourquoi la domination de la femme sur l’homme paraît plus absolue, en tant qu’il s’agit de la contemplation de leur idéal respectif. Par suite je ne sais, cela étant en contradiction avec la supposition qu’on eût pu faire à priori, pourquoi l’idéal féminin, (et par ce mot, dont on a fait un tel abus, j’entends la maximum philosophique de perfection) semble moins terrestre, moins grossier, et semble indiquer la possibilité d’une alliance avec quelque forme plus