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DU MANGEUR D’OPIUM

Le lecteur a-t-il vu de ses propres yeux, ou entendu décrire, la soudaine floraison, — ou pour mieux dire, — l’explosion par laquelle un hiver suédois devient le printemps, et le printemps un été ? Le sceptre de l’hiver ne fond point alors par une régulière gradation ; il se brise, il se rompt en pièces en un jour, en une heure ; et cela avec une violence qui frappe chacun des sens. La nature n’offre pas d’autre exemple aussi puissant, aussi émouvant d’une résurrection dans les climats méridionaux. C’est avec une sorte de cohue précipitée, un élan emporté de ravissement, que la vie déborde à travers l’atmosphère, sur terre, dans les eaux souterraines, au point qu’on pourrait s’imaginer que la trompette de l’Archange a déjà fait retentir son second appel[1] et que la victoire suprême a englouti pour toujours l’empire de la mort. Ce n’est point employer des figures de rhétorique, mais parler au sens propre des mots, en exprimant, d’une manière sèche et pauvre les impressions puissantes que je ressentis en cette circonstance. Je dirai donc que de même qu’une résurrection printanière est dans les hautes latitudes une manifestation de puissance et de vie, par comparaison avec les climats qui n’ont pas d’hiver, de même cette insurrection irlandaise présenta des traits aussi nets, aussi distincts, quand elle s’abandonna soudainement, entièrement à l’influence contagieuse des passions qui se déchaînèrent alors, à l’excitation frénétique qui s’empara alors de l’esprit populaire, quand on la compare aux mouvements militaires classiques et à la pédanterie de la guerre menée avec une routine purement technique.

  1. Paradis perdu, livre XI, vers 75.