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CONFESSIONS

jours l’affection et fait disparaître le langage avec lequel on traitait naturellement des classes en état de minorité ou de sujétion enfantine.

Voilà ma première remarque. Voici la seconde : Le changement que demande le docteur Arnold, soit qu’il le promette ou non, est pratiquement impossible, ou, s’il est possible, il ne l’est que dans un champ limité, celui de la servitude domestique. C’est là seulement que les deux classes en question sont en contact continuel. C’est sur cette scène qu’elles se rencontrent sans se heurter ou sortir de leur place, et là seulement peut avoir lieu un changement. Une sage maîtresse de maison, ayant assez de tact pour allier une gracieuse affabilité avec une dignité qui ne s’endort pas, qui ne lui permet pas de s’abaisser au bavardage étourdi, s’attachera l’affection de toute femme jeune et capable d’émotion. Telle était mistress K… Elle avait gagné tout d’abord la reconnaissance de ses gens en leur assurant un large bien-être ; leur confiance en les écoutant patiemment et leur donnant de sages conseils ; leur respect, en refusant de s’intéresser aux cancans, aux propos qui n’avaient d’autre objet que des médisances. Jusque-là, il ne manque peut-être pas de maîtresses de maison qui pourraient suivre son exemple. Mais le, bonheur qui régnait alors chez M. K… dépendait surtout de causes toutes particulières. Les huit personnes qui l’habitaient avaient l’avantage de la jeunesse ; les trois jeunes servantes ressentaient l’influence d’un enchantement tel qu’on le voit rarement, par le spectacle qu’elles avaient à toute heure sous les yeux, tableau qui de tous est le plus propre à émouvoir une sensibilité féminine ; chacune d’elles pouvait espérer, sans présomption, qu’il serait celui de sa propre vie. Je veux parler d’une heureuse union conjugale entre-deux personnes qui vivaient en si parfaite harmonie, qu’elles étaient entièrement indépendantes du monde extérieur. Ce qu’il y avait de tendresse, de satisfaction intime dans cette union, elles pouvaient le voir par