Page:Quincey - Confessions d'un mangeur d'opium, trad. Descreux, 1903.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
CONFESSIONS

arriver là. En tenant compte des différences constitutionnelles, je dirai qu’en moins de cent vingt jours, l’habitude de l’opium n’est pas si profondément enracinée, qu’il faille un effort surhumain sur soi-même pour y renoncer, et même la quitter tout d’un coup. Le samedi vous ètes un mangeur d’opium, le dimanche vous ne l’êtes plus. Quelle est donc la cause qui fit de Coleridge l’esclave de l’opium, un esclave qui jamais ne put rompre sa chaîne ? Dans son éternelle légèreté, il imagine qu’il a expliqué cette habitude et cet esclavage, et il n’a pas dit un mot qui puisse éclairer cette question. Le rhumatisme, dit-il, l’a conduit à l’opium, très bien, mais avec un traitement médical approprié, le rhumatisme aurait disparu, il aurait même disparu sans traitement, par les oscillation ordinaires qui font se succéder les causes naturelles. Et la douleur cessant, l’usage de l’opium aurait dû cesser. Pourquoi n’en fut-il pas ainsi ? Parce que Coleridge avait fini par apprécier le plaisir génial que donne l’opium, et qu’ainsi le véritable obstacle qu’il s’imaginait avoir esquivé par quelque voie mystérieuse, se représente devant lui avec une force inaltérée. L’attaque rhumatismale aurait pris fin longtemps avant que l’habitude eût le temps de se former. Supposez que j’exagère la faiblesse de l’habitude probable ? Cela serait également en ma faveur, et Coleridge n’avait pas le droit de me refuser un plaidoyer dont il usait pour lui-même. C’est véritablement un fait à inscrire dans les annales des erreurs volontaires de l’homme, que Coleridge ait pu tenir un tel langage devant telles réalités. Moi, qui ne vais pas proclamant mes victoires sur moi-même, et qui n’emploie aucun argument moral contre l’usage de l’opium. je n’en ai pas moins brisé plus d’une fois mon engagement, par des motifs de prudence, alors que j’ai fait pour cela des efforts qui figurent dans mon récit comme les plus ardues des souffrances. Coleridge qui professe, sans en donner de motifs, que manger de l’opium est un crime, et un crime plus grave, pour des raisons : mystérieuses, que de boire du