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cette application de la géométrie au dessin de la figure, tant de fois proposée depuis la Renaissance, elle était connue et pratiquée au XIIIe siècle. J’en demande bien pardon aux hommes d’esprit qui dans ces derniers temps ont immolé l’art antique à celui du moyen âge en prétendant que ce qui se faisait à une époque avec les entraves de l’imitation matérielle, n’était dans l’autre que le produit de l’inspiration pure. Un bon dessinateur du bon siècle du moyen âge se charge lui-même de leur prouver que ses contemporains et lui ne dédaignent pas de chercher dans les prosaïques combinaisons de la géométrie les formes de la nature organique. Quatre pages du manuscrit sont remplies de ces combinaisons, mises par l’auteur sous ce triple intitulé :Chi commence le mate de la portraiture[1]. — Incipit materia portraiture. — Ci commence li force des trais de portraiture si con ars de jometrie les ensaigne por legièrement ovrer[2].

Définir au juste cette méthode serait difficile ; sans doute elle était très arbitraire dans l’application. Ses procédés consistaient à réduire les attitudes à de simples lignes, ou a ramener les plans des corps aux figures élémentaires telles que le triangle et le carré ; mais cela se faisait sans le secours du calcul ni d’aucun autre moyen de précision, de sorte que la géométrie n’y intervenait que pour fournir les termes d’une approximation plus ou moins contestable. Aussi acquérait-on par l’étude de ces procédés, non pas la science du dessin, mais l’art de retrouver les poses en ne gardant que la mémoire de certains traits convenus ; l’œil et la main y contractaient aussi certaines habitudes qui, parce qu’elles dispensaient de regarder de plus près la nature, rendaient l’ouvrage facile, suivant l’expression de Villard de Honnecourt. La matière de portraiture n’est donc qu’une routine, de même que les dessins qui l’accompagnent ne sont que des patrons pour un certain nombre de sujets prévus. C’est ce que reconnaîtront les personnes habitués à l’art du XIIIe siècle, lorsqu’elles verront que les poses, à la reproduction desquelles s’attache la méthode, sont précisément celles qu’ont rendues avec une prédilection marquée les sculpteurs et miniaturistes du temps.

Pour que la démonstration soit complète, je mettrai sous les yeux du lecteur plusieurs de ces dessins.

  1. « Ici commence la matière de la portraiture (c’est-à-dire du dessin de la figure). »
  2. « Ici commence la méthode du trait pour dessiner la figure comme l’art de la géométrie l’enseigne pour facilement travailler. »