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d’air là, que Mme de Saint-Simon le craignait et qu’à elle au contraire Fagon le lui avait recommandé ; Mme de Saint-Simon ne s’était pas laissée étourdir par des paroles si osées et avait vivement répondu qu’elle se mettait à cette place non parce qu’elle craignait l’air, mais parce que c’était la sienne et que si Mme Murat faisait mine d’en prendre une, elle et les autres duchesses iraient demander à Mme  la duchesse de Bourgogne de s’en plaindre au Roi. Sur quoi, la princesse Murat n’avait répondu mot, sinon qu’elle savait ce qu’elle devait à Mme de Saint-Simon, qui avait été fort applaudie pour sa fermeté par les duchesses présentes et par la princesse d’Espinoy. Malgré ce marli fort singulier, qui m’était resté dans la mémoire et où j’avais bien compris que Mme Murat avait voulu tâter le pavé, je crus cette fois à une méprise, tant la prétention me parut forte ; mais voyant que les chevaux du prince Murat prenaient l’avance, j’envoyai un gentilhomme le prier de les faire reculer, à qui il fut répondu que le prince Murat l’eût fait avec grand plaisir s’il avait été seul, mais qu’il était avec Mme Murat, et quelques paroles vagues sur la chimère de prince étranger. Trouvant que ce n’était pas le lieu de montrer le néant d’une entreprise si énorme, je fis donner l’ordre à mon cocher de lancer mes chevaux qui endommagèrent quelque peu au passage le carrosse du prince Murat. Mais fort échauffé par l’affaire du Moine, j’avais déjà oublié celle du carrosse, pourtant si importante pour ce qui regarde le bon fonctionnement de la justice et l’honneur du royaume, quand le jour même du parvulo de Saint-Cloud, les ducs de Mortemart et de Chevreuse me vinrent avertir, comme