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ment « usine », d’un mot qui a pu prêter au contresens, était situé à l’extrémité de la vallée de plus de trente kilomètres qui se termine à Lille. Même de nos jours, après tous les déboisements qu’elle a subis, c’est un véritable jardin, planté de peupliers et de saules, semé de fontaines et de fleurs. Au plus fort de l’été, la fraîcheur y est délicieuse. Nous avons peine à imaginer aujourd’hui qu’elle a perdu ses bois de châtaigniers, ses bosquets de noisetiers et de vignes, la fertilité qui en faisait au temps de Lemoine un séjour enchanteur. Un Anglais qui vivait à cette époque, John Ruskin, que nous ne lisons malheureusement que dans la traduction d’une platitude pitoyable que Marcel Proust nous en a laissée, vante la grâce de ses peupliers, la fraîcheur glacée de ses sources. Le voyageur sortant à peine des solitudes de la Beauce et de la Sologne, toujours désolées par un implacable soleil, pouvait croire vraiment, quand il voyait étinceler à travers les feuillages leurs eaux transparentes, que quelque génie, touchant le sol de sa baguette magique, en faisait ruisseler à profusion le diamant. Lemoine, probablement, ne voulut jamais dire autre chose. Il semble qu’il ait voulu, non sans finesse, user de tous les délais de la loi française, qui permettaient aisément de prolonger l’instruction jusqu’à la mi-avril, où ce pays est particulièrement délicieux. Aux haies, le lilas, le rosier sauvage, l’épine blanche et rose sont en fleurs et tendent au long de tous les chemins une broderie d’une fraîcheur de tons incomparable, où les diverses espèces d’oiseaux de ce pays viennent mêler leurs chants. Le loriot, la mésange, le rossignol à tête bleue, quelquefois le bengali, se répondent de branche en branche. Les