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philes ou des amis de Reims, dîners où on déguste des généalogies. Les femmes n’y sont pas admises, mais les maris rentrent en disant à la leur : « J’ai fait un dîner intéressant. Il y avait un M. de la Raspelière qui nous a tenus sous le charme en nous expliquant que cette Mme de Saint-Loup qui a cette jolie fille n’est pas du tout née Forcheville. C’est tout un roman. »

L’amie de Bloch et de la duchesse de Guermantes n’était pas seulement élégante et charmante, elle était intelligente aussi, et la conversation avec elle était agréable, mais m’était rendue difficile parce que ce n’était pas seulement le nom de mon interlocutrice qui était nouveau pour moi, mais celui d’un grand nombre de personnes dont elle me parla et qui formaient actuellement le fond de la société. Il est vrai que, d’autre part, comme elle voulait m’entendre raconter des histoires, beaucoup de ceux que je lui citai ne lui dirent absolument rien, ils étaient tous tombés dans l’oubli, du moins ceux qui n’avaient brillé que de l’éclat individuel d’une personne et n’étaient pas le nom générique et permanent de quelque célèbre famille aristocratique (dont la jeune femme savait rarement le titre exact, supposant des naissances inexactes sur un nom qu’elle avait entendu de travers la veille dans un dîner), et elle ne les avait pour la plupart jamais entendu prononcer, n’ayant commencé à aller dans le monde (non seulement parce qu’elle était encore jeune, mais parce qu’elle habitait depuis peu la France et n’avait pas été reçue tout de suite) que quelques années après que je m’en étais moi-même retiré. De sorte que, si nous avions en commun un même vocabulaire de mots, pour les noms, celui de chacun de nous était différent. Je ne sais comment le nom de Mme Leroi tomba de mes lèvres et, par hasard, mon interlocutrice, grâce à quelque vieil ami, galant auprès d’elle, de Mme de Guermantes, en avait entendu parler. Mais inexactement comme je le vis au ton dédai-