Page:Proust - Le Temps retrouvé, 1927, tome 1.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus vrais à un théâtre où la cocasserie de l’imbroglio reposerait sur des méprises pathologiques, ce qui, de fil en aiguille, amène Mme Cottard à narrer qu’une donnée toute semblable a été mise en œuvre par un amateur qui est le favori des soirées de ses enfants, l’Écossais Stevenson, un nom qui met dans la bouche de Swann cette affirmation péremptoire : « Mais c’est tout à fait un grand écrivain, Stevenson, je vous assure, M. de Goncourt, un très grand, l’égal des plus grands. » Et comme, sur mon émerveillement des plafonds à caissons écussonnés provenant de l’ancien palazzo Barberini, de la salle où nous fumons, je laisse percer mon regret du noircissement progressif d’une certaine vasque par la cendre de nos « londrès », Swann, ayant raconté que des taches pareilles attestent sur les livres ayant appartenu à Napoléon Ier, livres possédés, malgré ses opinions antibonapartistes, par le duc de Guermantes, que l’empereur chiquait, Cottard, qui se révèle un curieux vraiment pénétrant en toutes choses, déclare que ces taches ne viennent pas du tout de cela — mais là, pas du tout, insiste-t-il avec autorité — mais de l’habitude qu’il avait d’avoir toujours dans la main, même sur les champs de bataille, des pastilles de réglisse, pour calmer ses douleurs de foie. « Car il avait une maladie de foie et c’est de cela qu’il est mort, conclut le docteur. »

Je m’arrêtai là, car je partais le lendemain et, d’ailleurs, c’était l’heure où me réclamait l’autre maître au service de qui nous sommes chaque jour, pour une moitié de notre temps. La tâche à laquelle il nous astreint, nous l’accomplissons les yeux fermés. Tous les matins il nous rend à notre autre maître, sachant que sans cela nous nous livrerions mal à la sienne. Curieux, quand notre esprit a rouvert ses yeux, de savoir ce que nous avons bien pu faire chez le maître qui étend ses esclaves avant de les mettre à une besogne précipitée, les plus malins, à peine la tâche