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un peu du charme mélancolique des Pardons, et, comme dirait ce vrai poète qu’est Pampille, de « l’âpre saveur des crêpes de blé noir, cuites sur un feu d’ajoncs ».

Du marquis du Lau (dont on sait la triste fin, quand, sourd, il se faisait porter chez Mme H…, aveugle), elle contait les années moins tragiques quand, après la chasse, à Guermantes, il se mettait en chaussons pour prendre le thé avec le roi d’Angleterre, auquel il ne se trouvait pas inférieur, et avec lequel, on le voit, il ne se gênait pas. Elle faisait remarquer cela avec tant de pittoresque qu’elle lui ajoutait le panache à la mousquetaire des gentilshommes un peu glorieux du Périgord.

D’ailleurs, même dans la simple qualification des gens, avoir soin de différencier les provinces était pour Mme de Guermantes, restée elle-même, un grand charme que n’aurait jamais su avoir une Parisienne d’origine, et ces simples noms d’Anjou, de Poitou, de Périgord, refaisaient dans sa conversation des paysages.

Pour en revenir à la prononciation et au vocabulaire de Mme de Guermantes, c’est par ce côté que la noblesse se montre vraiment conservatrice, avec tout ce que ce mot a à la fois d’un peu puéril, d’un peu dangereux, de réfractaire à l’évolution, mais aussi d’amusant pour l’artiste. Je voulais savoir comment on écrivait autrefois le mot Jean. Je l’appris en recevant une lettre du neveu de Mme de Villeparisis, qui signe — comme il a été baptisé, comme il figure dans le Gotha — Jehan de Villeparisis, avec la même belle H inutile, héraldique, telle qu’on l’admire, enluminée de vermillon ou d’outremer, dans un livre d’heures ou dans un vitrail.

Malheureusement, je n’avais pas le temps de prolonger indéfiniment ces visites, car je voulais, autant que possible, ne pas rentrer après mon amie. Or, ce