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assuré du néant, insoucieux de la gloire, use pourtant ses dernières heures à tâcher de les faire connaître.

Sans doute je n’en étais qu’à la première de ces affirmations pour Léa. J’ignorais même si Albertine la connaissait ou non. N’importe, cela revenait au même. Il fallait à tout prix éviter qu’au Trocadéro elle pût retrouver cette connaissance, ou faire la connaissance de cette inconnue. Je dis que je ne savais si elle connaissait Léa ou non ; j’avais dû pourtant l’apprendre à Balbec, d’Albertine elle-même. Car l’oubli anéantissait aussi bien chez moi que chez Albertine une grande part des choses qu’elle m’avait affirmées. La mémoire, au lieu d’un exemplaire en double, toujours présent à nos yeux, des divers faits de notre vie, est plutôt un néant d’où par instant une similitude actuelle nous permet de tirer, ressuscités, des souvenirs morts ; mais encore il y a mille petits faits qui ne sont pas tombés dans cette virtualité de la mémoire, et qui resteront à jamais incontrôlables pour nous. Tout ce que nous ignorons se rapporter à la vie réelle de la personne que nous aimons, nous n’y faisons aucune attention, nous oublions aussitôt ce qu’elle nous a dit à propos de tel fait ou de telles gens que nous ne connaissons pas, et l’air qu’elle avait en nous le disant. Aussi, quand ensuite notre jalousie est excitée par ces mêmes gens, pour savoir si elle ne se trompe pas, si c’est bien à eux qu’elle doit rapporter telle hâte que notre maîtresse a de sortir, tel mécontentement que nous l’en ayons privée en rentrant trop tôt, notre jalousie, fouillant le passé pour en tirer des indications, n’y trouve rien ; toujours rétrospective, elle est comme un historien qui aurait à faire une histoire pour laquelle il n’est aucun document ; toujours en retard, elle se précipite comme un taureau furieux là où ne se trouve pas l’être fier et brillant qui l’irrite de ses piqûres et dont la foule cruelle admire la magnificence