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Verdurin, ayant dit d’un peu loin : « Eh bien ! il me semble qu’on est en train de vous dire de belles choses, Odette », elle répondit : « Oui, de très belles », Swann trouva délicieuse sa simplicité. Cependant il demandait des renseignements sur Vinteuil, sur son œuvre, sur l’époque de sa vie où il avait composé cette sonate, sur ce qu’avait pu signifier pour lui la petite phrase, c’est cela surtout qu’il aurait voulu savoir.

Mais tous ces gens qui faisaient profession d’admirer ce musicien (quand Swann avait dit que sa sonate était vraiment belle, Mme  Verdurin s’était écriée : « Je vous crois un peu qu’elle est belle ! Mais on n’avoue pas qu’on ne connaît pas la sonate de Vinteuil, on n’a pas le droit de ne pas la connaître », et le peintre avait ajouté : « Ah ! c’est tout à fait une très grande machine, n’est-ce pas ? Ce n’est pas, si vous voulez, la chose « cher » et « public », n’est-ce pas ? mais c’est la très grosse impression pour les artistes »), ces gens semblaient ne s’être jamais posé ces questions, car ils furent incapables d’y répondre.

Même à une ou deux remarques particulières que fit Swann sur sa phrase préférée :

— Tiens, c’est amusant, je n’avais jamais fait attention ; je vous dirai que je n’aime pas beaucoup chercher la petite bête et m’égarer dans des pointes d’aiguilles ; on ne perd pas son temps à couper les cheveux en quatre ici, ce n’est pas le genre de la maison, répondit Mme  Verdurin, que le docteur Cottard regardait avec une admiration béate et un zèle studieux se jouer au milieu de ce flot d’expressions toutes faites. D’ailleurs lui et Mme  Cottard, avec une sorte de bon sens comme en ont aussi certaines gens du peuple, se gardaient bien de donner une opinion ou de feindre l’admiration pour une musique qu’ils s’avouaient l’un à l’autre,