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mettre à exécution les désirs, ainsi que les désirs des fidèles, avec de grandes ressources d’ingéniosité.)

— Voici Mme  de Crécy qui a quelque chose à te demander. Elle désirerait te présenter un de ses amis, M. Swann. Qu’en dis-tu ?

— Mais voyons, est-ce qu’on peut refuser quelque chose à une petite perfection comme ça. Taisez-vous, on ne vous demande pas votre avis, je vous dis que vous êtes une perfection.

— Puisque vous le voulez, répondit Odette sur un ton de marivaudage, et elle ajouta : vous savez que je ne suis pas « fishing for compliments ».

— Eh bien ! amenez-le votre ami, s’il est agréable.

Certes le « petit noyau » n’avait aucun rapport avec la société où fréquentait Swann, et de purs mondains auraient trouvé que ce n’était pas la peine d’y occuper comme lui une situation exceptionnelle pour se faire présenter chez les Verdurin. Mais Swann aimait tellement les femmes, qu’à partir du jour où il avait connu à peu près toutes celles de l’aristocratie et où elles n’avaient plus rien eu à lui apprendre, il n’avait plus tenu à ces lettres de naturalisation, presque des titres de noblesse, que lui avait octroyées le faubourg Saint-Germain, que comme à une sorte de valeur d’échange, de lettre de crédit dénuée de prix en elle-même, mais lui permettant de s’improviser une situation dans tel petit trou de province ou tel milieu obscur de Paris, où la fille du hobereau ou du greffier lui avait semblé jolie. Car le désir ou l’amour lui rendait alors un sentiment de vanité dont il était maintenant exempt dans l’habitude de la vie (bien que ce fût lui sans doute qui autrefois l’avait dirigé vers cette carrière mondaine où il avait gaspillé dans les plaisirs frivoles les dons de son esprit et fait servir son érudition en matière d’art à conseiller les dames de la société dans leurs achats de tableaux et pour