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parole déplacée, de faire vivre sous son toit une femme pareille. Il dit que c’est une femme supérieure, un grand cœur et qu’elle aurait eu des dispositions extraordinaires pour la musique si elle les avait cultivées. Il peut être sûr que ce n’est pas de musique qu’elle s’occupe avec sa fille. » M. Vinteuil le disait ; et il est en effet remarquable combien une personne excite toujours d’admiration pour ses qualités morales chez les parents de toute autre personne avec qui elle a des relations charnelles. L’amour physique, si injustement décrié, force tellement tout être à manifester jusqu’aux moindres parcelles qu’il possède de bonté, d’abandon de soi, qu’elles resplendissent jusqu’aux yeux de l’entourage immédiat. Le docteur Percepied à qui sa grosse voix et ses gros sourcils permettaient de tenir tant qu’il voulait le rôle de perfide dont il n’avait pas le physique, sans compromettre en rien sa réputation inébranlable et imméritée de bourru bienfaisant, savait faire rire aux larmes le curé et tout le monde en disant d’un ton rude : « Hé bien ! il paraît qu’elle fait de la musique avec son amie, Mlle Vinteuil. Ça a l’air de vous étonner. Moi je sais pas. C’est le père Vinteuil qui m’a encore dit ça hier. Après tout, elle a bien le droit d’aimer la musique, c’te fille. Moi je ne puis pas contrarier les vocations artistiques des enfants. Vinteuil non plus à ce qu’il paraît. Et puis lui aussi il fait de la musique avec l’amie de sa fille. Ah ! sapristi, on en fait une musique dans c’te boîte-là. Mais qu’est-ce que vous avez à rire ? mais ils font trop de musique ces gens. L’autre jour j’ai rencontré le père Vinteuil près du cimetière. Il ne tenait pas sur ses jambes. »

Pour ceux qui comme nous virent à cette époque M. Vinteuil éviter les personnes qu’il connaissait, se détourner quand il les apercevait, vieillir en