Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.

réponse la même précision que s’il avait dit : « On m’a dit qu’il n’avait que quatre doigts à la main droite, est-ce vrai ? »

— M…on Dieu, n…on, répondit Mme de Guermantes avec un sourire de douce indulgence. Peut-être un tout petit peu snob d’apparence, parce qu’il est extrêmement jeune, mais cela m’étonnerait qu’il le fût en réalité, car il est intelligent, ajouta-t-elle, comme s’il y eût eu à son avis incompatibilité absolue entre le snobisme et l’intelligence. « Il est fin, je l’ai vu drôle », dit-elle encore en riant d’un air gourmet et connaisseur, comme si porter le jugement de drôlerie sur quelqu’un exigeait une certaine expression de gaîté, ou comme si les saillies du duc de Guastalla lui revenaient à l’esprit en ce moment. « Du reste, comme il n’est pas reçu, ce snobisme n’aurait pas à s’exercer », reprit-elle sans songer qu’elle n’encourageait pas beaucoup de la sorte la princesse de Parme.

— Je me demande ce que dira le prince de Guermantes, qui l’appelle Mme Iéna, s’il apprend que je suis allée chez elle.

— Mais comment, s’écria avec une extraordinaire vivacité la duchesse, vous savez que c’est nous qui avons cédé à Gilbert (elle s’en repentait amèrement aujourd’hui !) toute une salle de jeu Empire qui nous venait de Quiou-Quiou et qui est une splendeur ! Il n’y avait pas la place ici où pourtant je trouve que ça faisait mieux que chez lui. C’est une chose de toute beauté, moitié étrusque, moitié égyptienne…

— Égyptienne ? demanda la princesse à qui étrusque disait peu de chose.

— Mon Dieu, un peu les deux, Swann nous disait cela, il me l’a expliqué, seulement, vous savez, je suis une pauvre ignorante. Et puis au fond, Madame, ce qu’il faut se dire, c’est que l’Égypte du style Empire n’a aucun rapport avec la vraie Égypte, ni leurs Romains avec les Romains, ni leur Étrurie…