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impossibles pour les moindres choses, ce qui n’empêche pas qu’il fait des pâtés dans ses lettres. L’autre jour, il a dit qu’il avait mangé des pommes de terre sublimes, et qu’il avait trouvé à louer une baignoire sublime.

— Il parle latin, enchérit le duc.

— Comment, latin ? demanda la princesse.

— Ma parole d’honneur ! que Madame demande à Oriane si j’exagère.

— Mais comment, madame, l’autre jour il a dit dans une seule phrase, d’un seul trait : « Je ne connais pas d’exemple de Sic transit gloria mundi plus touchant » ; je dis la phrase à Votre Altesse parce qu’après vingt questions et en faisant appel à des linguistes, nous sommes arrivés à la reconstituer, mais Robert a jeté cela sans reprendre haleine, on pouvait à peine distinguer qu’il y avait du latin là dedans, il avait l’air d’un personnage du Malade imaginaire ! Et tout ça s’appliquait à la mort de l’impératrice d’Autriche !

— Pauvre femme ! s’écria la princesse, quelle délicieuse créature c’était.

— Oui, répondit la duchesse, un peu folle, un peu insensée, mais c’était une très bonne femme, une gentille folle très aimable, je n’ai seulement jamais compris pourquoi elle n’avait jamais acheté un râtelier qui tînt, le sien se décrochait toujours avant la fin de ses phrases et elle était obligée de les interrompre pour ne pas l’avaler.

— Cette Rachel m’a parlé de vous, elle m’a dit que le petit Saint-Loup vous adorait, vous préférait même à elle, me dit le prince Von, tout en mangeant comme un ogre, le teint vermeil, et dont le rire perpétuel découvrait toutes les dents.

— Mais alors elle doit être jalouse de moi et me détester, répondis-je.

— Pas du tout, elle m’a dit beaucoup de bien de vous. La maîtresse du prince de Foix serait peut--