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— Si, en rouge écrevisse, répondit Mme  de Guermantes, mais ce n’est pas cela qui fera passer son nom à la postérité. C’est une horreur, Basin voulait le détruire. Cette phrase-là, Mme  de Guermantes la disait souvent. Mais d’autres fois, son appréciation était autre : « Je n’aime pas sa peinture, mais il a fait autrefois un beau portrait de moi. » L’un de ces jugements s’adressait d’habitude aux personnes qui parlaient à la duchesse de son portrait, l’autre à ceux qui ne lui en parlaient pas et à qui elle désirait en apprendre l’existence. Le premier lui était inspiré par la coquetterie, le second par la vanité.

— Faire une horreur avec un portrait de vous ! Mais alors ce n’est pas un portrait, c’est un mensonge : moi qui sais à peine tenir un pinceau, il me semble que si je vous peignais, rien qu’en représentant ce que je vois je ferais un chef-d’œuvre, dit naïvement la princesse de Parme.

— Il me voit probablement comme je me vois, c’est-à-dire dépourvue d’agrément, dit Mme  de Guermantes avec le regard à la fois mélancolique, modeste et câlin qui lui parut le plus propre à la faire paraître autre que ne l’avait montrée Elstir.

— Ce portrait ne doit pas déplaire à Mme  de Gallardon, dit le duc.

— Parce qu’elle ne s’y connaît pas en peinture ? demanda la princesse de Parme qui savait que Mme  de Guermantes méprisait infiniment sa cousine. Mais c’est une très bonne femme n’est-ce pas ? Le duc prit un air d’étonnement profond. « Mais voyons, Basin, vous ne voyez pas que la princesse se moque de vous (la princesse n’y songeait pas). Elle sait aussi bien que vous que Gallardonette est une vieille poison », reprit Mme  de Guermantes, dont le vocabulaire, habituellement limité à toutes ces vieilles expressions, était savoureux comme ces plats possibles à découvrir dans les livres délicieux de Pampille, mais dans la réalité