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M. de Guermantes, à cette époque de sa vie, avait, au grand scandale des Courvoisier, fait souvent partie des collègues qui venaient féliciter le ministre. J’ai entendu plus tard raconter que, même à un moment où il joua un assez grand rôle à la Chambre et où on songeait à lui pour un ministère ou une ambassade, il était, quand un ami venait lui demander un service, infiniment plus simple, jouait politiquement beaucoup moins au grand personnage politique que tout autre qui n’eût pas été le duc de Guermantes. Car s’il disait que la noblesse était peu de chose, qu’il considérait ses collègues comme des égaux, il n’en pensait pas un mot. Il recherchait, feignait d’estimer, mais méprisait les situations politiques, et comme il restait pour lui-même M. de Guermantes, elles ne mettaient pas autour de sa personne cet empesé des grands emplois qui rend d’autres inabordables. Et par là, son orgueil protégeait contre toute atteinte non pas seulement ses façons d’une familiarité affichée, mais ce qu’il pouvait avoir de simplicité véritable.

Pour en revenir à ces décisions artificielles et émouvantes comme celles des politiciens, Mme de Guermantes ne déconcertait pas moins les Guermantes, les Courvoisier, tout le faubourg et plus que personne la princesse de Parme, par des décrets inattendus sous lesquels on sentait des principes qui frappaient d’autant plus qu’on s’en était moins avisé. Si le nouveau ministre de Grèce donnait un bal travesti, chacun choisissait un costume, et on se demandait quel serait celui de la duchesse. L’une pensait qu’elle voudrait être en Duchesse de Bourgogne, une autre donnait comme probable le travestissement en princesse de Dujabar, une troisième en Psyché. Enfin une Courvoisier ayant demandé : « En quoi te mettras-tu, Oriane ? » provoquait la seule réponse à quoi l’on n’eût pas pensé : « Mais en rien du tout ! » et qui faisait beaucoup marcher les langues comme dévoilant l’opi-