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en aide à la gaucherie et à la timidité qu’il leur supposait :

— Non, non, leur dit-il, ne les posez pas par terre, vous allez les abîmer.

Un regard du baron de Guermantes, en rendant oblique le plan de ses prunelles, y roula tout à coup une couleur d’un bleu cru et tranchant qui glaça le bienveillant historien.

— Comment s’appelle ce monsieur ? me demanda le baron, qui venait de m’être présenté par Mme  de Villeparisis.

— M. Pierre, répondis-je à mi-voix.

— Pierre de quoi ?

— Pierre, c’est son nom, c’est un historien de grande valeur.

— Ah !… vous m’en direz tant.

— Non, c’est une nouvelle habitude qu’ont ces messieurs de poser leurs chapeaux à terre, expliqua Mme  de Villeparisis, je suis comme vous, je ne m’y habitue pas. Mais j’aime mieux cela que mon neveu Robert qui laisse toujours le sien dans l’antichambre. Je lui dis, quand je le vois entrer ainsi, qu’il a l’air de l’horloger et je lui demande s’il vient remonter les pendules.

— Vous parliez tout à l’heure, madame la marquise, du chapeau de M. Molé, nous allons bientôt arriver à faire, comme Aristote, un chapitre des chapeaux, dit l’historien de la Fronde, un peu rassuré par l’intervention de Mme  de Villeparisis, mais pourtant d’une voix encore si faible que, sauf moi, personne ne l’entendit.

— Elle est vraiment étonnante la petite duchesse, dit M. d’Argencourt en montrant Mme  de Guermantes qui causait avec G… Dès qu’il y a un homme en vue dans un salon, il est toujours à côté d’elle. Évidemment cela ne peut être que le grand pontife qui se trouve là. Cela ne peut pas être tous les jours M. de