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avait un G et une couronne ducale. Dans l’embrasure de la porte du petit salon il me dit sans me regarder :

— Puisque je vois que vous allez dans le monde maintenant, faites-moi donc le plaisir de venir me voir. Mais c’est assez compliqué, ajouta-t-il d’un air d’inattention et de calcul, et comme s’il s’était agi d’un plaisir qu’il avait peur de ne plus retrouver une fois qu’il aurait laissé échapper l’occasion de combiner avec moi les moyens de le réaliser. Je suis peu chez moi, il faudrait que vous m’écriviez. Mais j’aimerais mieux vous expliquer cela plus tranquillement. Je vais partir dans un moment. Voulez-vous faire deux pas avec moi ? Je ne vous retiendrai qu’un instant.

— Vous ferez bien de faire attention, monsieur, lui dis-je. Vous avez pris par erreur le chapeau d’un des visiteurs.

— Vous voulez m’empêcher de prendre mon chapeau ?

Je supposai, l’aventure m’étant arrivée à moi-même peu auparavant, que, quelqu’un lui ayant enlevé son chapeau, il en avait avisé un au hasard pour ne pas rentrer nu-tête, et que je le mettais dans l’embarras en dévoilant sa ruse. Je lui dis qu’il fallait d’abord que je dise quelques mots à Saint-Loup. « Il est en train de parler avec cet idiot de duc de Guermantes, ajoutai-je. — C’est charmant ce que vous dites là, je le dirai à mon frère. — Ah ! vous croyez que cela peut intéresser M. de Charlus ? (Je me figurais que, s’il avait un frère, ce frère devait s’appeler Charlus aussi. Saint-Loup m’avait bien donné quelques explications là-dessus à Balbec, mais je les avais oubliées.) — Qui est-ce qui vous parle de M. de Charlus ? me dit le baron d’un air insolent. Allez auprès de Robert. Je sais que vous avez participé ce matin à un de ces déjeuners d’orgie qu’il a avec une femme qui le déshonore. Vous devriez bien user de votre influence sur lui pour lui faire comprendre le chagrin qu’il cause à sa pauvre