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— Comment allez-vous ? Je vous présente mon neveu, le baron de Guermantes, me dit Mme  de Villeparisis, pendant que l’inconnu, sans me regarder, grommelant un vague : « Charmé » qu’il fit suivre de : « Heue, heue, heue » pour donner à son amabilité quelque chose de forcé, et repliant le petit doigt, l’index et le pouce, me tendait le troisième doigt et l’annulaire, dépourvus de toute bague, que je serrai sous son gant de Suède ; puis sans avoir levé les yeux sur moi il se détourna vers Mme  de Villeparisis.

— Mon Dieu, est-ce que je perds la tête ? dit celle-ci, voilà que je t’appelle le baron de Guermantes. Je vous présente le baron de Charlus. Après tout, l’erreur n’est pas si grande, ajouta-t-elle, tu es bien un Guermantes tout de même.

Cependant ma grand’mère sortait, nous fîmes route ensemble. L’oncle de Saint-Loup ne m’honora non seulement pas d’une parole mais même d’un regard. S’il dévisageait les inconnus (et pendant cette courte promenade il lança deux ou trois fois son terrible et profond regard en coup de sonde sur des gens insignifiants et de la plus modeste extraction qui passaient), en revanche, il ne regardait à aucun moment, si j’en jugeais par moi, les personnes qu’il connaissait — comme un policier en mission secrète mais qui tient ses amis en dehors de sa surveillance professionnelle. Les laissant causer ensemble, ma grand’mère, Mme  de Villeparisis et lui, je retins Saint-Loup en arrière :

— Dites-moi, ai-je bien entendu ? Madame de Villeparisis a dit à votre oncle qu’il était un Guermantes.

— Mais oui, naturellement, c’est Palamède de Guermantes.

— Mais des mêmes Guermantes qui ont un château près de Combray et qui prétendent descendre de Geneviève de Brabant ?

— Mais absolument : mon oncle, qui est on ne peut