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— C’est cela même.

— Ah ! vous m’en direz tant. Vous ne savez pas son nom ?

— Si, j’ai fait semblant de me tromper, j’ai pris la carte, elle a comme nom de guerre la princesse de Luxembourg ! Avais-je raison de me méfier ! C’est agréable d’avoir ici une promiscuité avec cette espèce de Baronne d’Ange.

Le bâtonnier cita Mathurin Régnier et Macette au premier président.

Il ne faut, d’ailleurs, pas croire que ce malentendu fut momentané comme ceux qui se forment au deuxième acte d’un vaudeville pour se dissiper au dernier. Mme  de Luxembourg, nièce du roi d’Angleterre et de l’empereur d’Autriche, et Mme  de Villeparisis parurent toujours, quand la première venait chercher la seconde pour se promener en voiture, deux drôlesses de l’espèce de celles dont on se gare difficilement dans les villes d’eaux. Les trois quarts des hommes du faubourg Saint-Germain passent aux yeux d’une bonne partie de la bourgeoisie pour des décavés crapuleux (qu’ils sont d’ailleurs quelquefois individuellement) et que, par conséquent, personne ne reçoit. La bourgeoisie est trop honnête en cela, car leurs tares ne les empêcheraient nullement d’être reçus avec la plus grande faveur là où elle ne le sera jamais. Et eux s’imaginent tellement que la bourgeoisie le sait qu’ils affectent une simplicité en ce qui les concerne, un dénigrement pour leurs amis particulièrement « à la côte », qui achève le malentendu. Si par hasard un homme du grand monde est en rapports avec la petite bourgeoisie parce qu’il se trouve, étant extrêmement riche, avoir la présidence des plus importantes sociétés financières, la bourgeoisie qui voit enfin un noble digne d’être grand bourgeois jurerait qu’il ne fraye pas avec le marquis joueur et ruiné qu’elle croit d’autant plus dénué de relations qu’il est