Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conscience humaine, mais il faut que notre hypocrisie le sache, atteste de la part de Dieu une profonde misanthropie. Dieu nous aide, non par bonté, mais parce que l’ordre est son essence ; Dieu procure le bien du monde, non qu’il l’en juge digne, mais parce que la religion de sa suprême intelligence l’y oblige ; et tandis que le vulgaire lui donne le doux nom de père, il est impossible à l’historien, à l’économiste philosophe, de croire qu’il nous aime ni nous estime.

Imitons cette sublime indifférence, cette ataraxie stoïque de Dieu ; et puisque le précepte de charité a toujours échoué dans la production du bien social, cherchons dans la raison pure les conditions de la concorde et de la vertu.

La valeur, conçue comme proportionnalité des produits, autrement dire la valeur constituée, suppose nécessairement, et dans un degré égal, utilité et vénalité, indivisiblement et harmoniquement unies. Elle suppose utilité, car, sans cette condition, le produit aurait été dépourvu de cette affinité qui le rend échangeable, et par conséquent fait de lui un élément de la richesse ; — elle suppose vénalité, puisque si le produit n’était pas à toute heure et pour un prix déterminé acceptable à l’échange, il ne serait plus qu’une non-valeur, il ne serait rien.

Mais, dans la valeur constituée, toutes ces propriétés acquièrent une signification plus large, plus régulière et plus vraie qu’auparavant. Ainsi, l’utilité n’est plus cette capacité pour ainsi dire inerte qu’ont les choses de servir à nos jouissances et à nos explorations ; la vénalité n’est pas davantage cette exagération d’une fantaisie aveugle ou d’une opinion sans principe ; enfin, la variabilité a cessé de se traduire en un débat plein de mauvaise foi entre l’offre et la demande : tout cela a disparu pour faire place à une idée positive, normale, et, sous toutes les modifications possibles, déterminable. Par la constitution des valeurs, chaque produit, s’il est permis d’établir une pareille analogie, est comme la nourriture qui, découverte par l’instinct d’alimentation, puis préparée par l’organe digestif, entre dans la circulation générale, où elle se convertit, suivant des proportions certaines, en chairs, en os, en liquides, etc., et donne au corps la vie, la force et la beauté.