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marchandise : le seul juge de l’utilité, ou, ce qui revient au même, du besoin, est l’acheteur. Donc, dans le premier cas, vous êtes arbitre de la convenance ; dans le second, c’est moi. Ôtez la liberté réciproque, et l’échange n’est plus l’exercice de la solidarité industrielle : c’est une spoliation. Le communisme, pour le dire en passant, ne triomphera jamais de cette difficulté.

Mais, avec la liberté, la production reste nécessairement indéterminée, soit en quantité, soit en qualité ; si bien qu’au point de vue du progrès économique, comme à celui de la convenance des consommateurs, l’estimation demeure éternellement arbitraire, et toujours le prix des marchandises flottera. Supposons pour un moment que tous les producteurs vendent à prix fixe : il y en aura qui, produisant à meilleur marché ou produisant mieux, gagneront beaucoup, pendant que les autres ne gagneront rien. De toute manière l’équilibre est rompu. — Veut-on, afin de parer à la stagnation du commerce, limiter la production au juste nécessaire ? C’est violer la liberté : car, en m’ôtant la faculté de choisir, vous me condamnez à payer un maximum ; vous détruisez la concurrence, seule garantie du bon marché, et provoquez à la contrebande. Ainsi, pour empêcher l’arbitraire commercial, vous vous jetterez dans l’arbitraire administratif ; pour créer l’égalité, vous détruirez la liberté : ce qui est la négation de l’égalité même. — Grouperez-vous les producteurs en un atelier unique, je suppose que vous possédiez ce secret ? Cela ne suffit point encore : il vous faudra grouper aussi les consommateurs en un ménage commun : mais alors vous désertez la question. Il ne s’agit pas d’abolir l’idée de valeur, ce qui est aussi impossible que d’abolir le travail, mais de la déterminer ; il ne s’agit pas de tuer la liberté individuelle, mais de la socialiser. Or, il est prouvé que c’est le libre arbitre de l’homme qui donne lieu à l’opposition entre la valeur utile et la valeur en échange : comment résoudre cette opposition, tant que subsistera le libre arbitre ? Et comment sacrifier celui-ci, à moins de sacrifier l’homme ?…

Donc, par cela seul qu’en ma qualité d’acheteur libre je suis juge de mon besoin, juge de la convenance de l’objet,