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qui versent dans leur peine le sang et l’eau, le plus mal. Tellement qu’en suivant le principe jusqu’aux dernières conséquences, on arriverait à conclure le plus logiquement du monde, que les choses dont l’usage est nécessaire et la quantité infinie, doivent être pour rien ; et celles dont l’utilité est nulle et la rareté extrême, d’un prix inestimable. Mais, et pour comble d’embarras, la pratique n’admet point ces extrêmes : d’un côté, aucun produit humain ne saurait jamais atteindre l’infini en grandeur ; de l’autre, les choses les plus rares ont besoin d’être, à un degré quelconque, utiles, sans quoi elles ne seraient susceptibles d’aucune valeur. La valeur utile et la valeur échangeable restent donc fatalement enchaînées l’une à l’autre, bien que par leur nature elles tendent continuellement à s’exclure.

Je ne fatiguerai pas le lecteur de la réfutation des logomachies qu’on pourrait présenter pour éclaircir ce sujet : il n’y a pas, sur la contradiction inhérente à la notion de valeur, de cause assignable, ni d’explication possible. Le fait dont je parle est un de ceux qu’on nomme primitifs, c’est-à-dire qui peuvent servir à en expliquer d’autres, mais qui en eux-mêmes, comme les corps appelés simples, sont insolubles. Tel est le dualisme de l’esprit et de la matière. L’esprit et la matière sont deux termes qui, pris séparément, indiquent chacun une vue spéciale de l’esprit, mais sans répondre à aucune réalité. De même, étant donné le besoin pour l’homme d’une grande variété de produits avec l’obligation d’y pourvoir par son travail, l’opposition de valeur utile à valeur échangeable en résulte nécessairement ; et de cette opposition, une contradiction sur le seuil même de l’économie politique. Aucune intelligence, aucune volonté divine et humaine ne saurait l’empêcher.

Ainsi, au lieu de chercher une explication chimérique, contentons-nous de bien constater la nécessité de la contradiction.

Quelle que soit l’abondance des valeurs créées et la proportion dans laquelle elles s’échangent, pour que nous échangions nos produits, il faut, si vous êtes demandeur, que mon produit vous convienne, et si vous êtes offrant, que j’agrée le vôtre. Car nul n’a droit d’imposer à autrui sa propre