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ment bon et ordonné dans toutes ses puissances, malgré les témoignages désespérants qu’il ne cesse de donner de sa moralité douteuse ; attribuant ses vices à la contrainte où il a vécu, et se promettant de lui, par une liberté complète, les actes du plus pur dévouement, parce que dans les mythes où l’humanité, suivant cette philosophie, s’est peinte elle-même, se trouvent décrits et opposés l’un à l’autre, sous les noms d’enfer et de paradis, un temps de contrainte et de peine, et une ère de bonheur et d’indépendance ! Avec une pareille doctrine, il suffira, chose d’ailleurs inévitable, que l’homme reconnaisse qu’il n’est ni Dieu ni bon, ni saint, ni sage, pour qu’il se rejette aussitôt dans les bras de la religion : si bien qu’en dernière analyse tout ce que le monde aura gagné à la négation de Dieu, sera la résurrection de Dieu.

Tel n’est pas, selon moi, le sens des fables religieuses. L’humanité, en reconnaissant Dieu comme son auteur, son maître, son alter ego, n’a fait que déterminer par une antithèse sa propre essence : essence éclectique et pleine de contrastes, émanée de l’infini et contradictoire à l’infini, développée dans le temps et aspirant à l’éternité, par toutes ces raisons faillible, bien que guidée par le sentiment du beau et de l’ordre. L’humanité est fille de Dieu, comme toute opposition est fille d’une position antérieure : c’est pour cela que l’humanité a découvert Dieu semblable à elle, qu’elle lui a prêté ses propres attributs, mais toujours en leur donnant un caractère spécifique, c’est-à-dire en définissant Dieu contradictoirement à elle-même. L’humanité est un spectre pour Dieu, de même qu’il est un spectre pour elle ; chacun des deux est pour l’autre cause, raison et fin d’existence.

Ce n’était donc point assez d’avoir démontré, par la critique des idées religieuses, que la conception du moi divin se ramène à l’aperception du moi homme ; il fallait encore contrôler cette déduction par une critique de l’humanité même, et voir si cette humanité satisfaisait aux conditions que supposait son apparente déité. Or, tel est le travail que nous avons solennellement inauguré, lorsque, partant à la fois de la réalité humaine et de l’hypothèse divine, nous avons commencé de dérouler l’histoire de la société dans ses établissements économiques et dans ses pensées spéculatives.