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voulante et agissante ; lorsqu’enfin elle était connue comme société, et nommée ?

Non, dit-on, la société n’existait pas ; les hommes étaient agglomérés, mais point associés : la constitution arbitraire de la propriété et de l’état, ainsi que le dogmatisme intolérant de la religion, le prouvent.

Rhétorique pure : la société existe du jour où les individus, communiquant par le travail et la parole, ont consenti des obligations réciproques, et donné naissance à des lois et à des coutumes. Sans doute la société se perfectionne à mesure des progrès de la science et de l’économie : mais à aucune époque de la civilisation le progrès n’implique une métamorphose comme celles qu’ont rêvée les faiseurs d’utopie ; et si excellente que doive être la condition future de l’humanité, elle n’en sera pas moins la continuation naturelle, la conséquence nécessaire de ses positions antérieures.

Du reste, aucun système d’association n’excluant par lui-même, ainsi que je l’ai fait voir, la fraternité et la justice, l’idéal politique n’a jamais pu être confondu avec Dieu, et l’on voit en effet que chez tous les peuples la société s’est distinguée de la religion. La première était prise pour but, la seconde regardée seulement comme moyen ; le prince fut le ministre de la volonté collective, pendant que Dieu régnait sur les consciences, attendant au delà du tombeau les coupables échappés à la justice des hommes. L’idée même de progrès et de réforme n’a fait défaut nulle part ; rien enfin de ce qui constitue la vie sociale n’a été chez aucune nation religieuse, entièrement ignoré ou méconnu. Pourquoi donc encore une fois cette tautologie de Société-Divinité, s’il est vrai, comme on le prétend, que l’hypothèse théologique ne contienne pas autre chose que l’idéal de la société humaine, le type préconçu de l’humanité transfigurée par l’égalité, la solidarité, le travail et l’amour ?

Certes, s’il est un préjugé, un mysticisme dont la déception me semble aujourd’hui redoutable, ce n’est plus le catholicisme qui s’en va, ce serait bien plutôt cette philosophie humanitaire, faisant de l’homme, sur la foi d’une spéculation trop savante pour n’être pas mêlée d’arbitraire, un être saint et sacré ; le proclamant Dieu, c’est-à-dire essentielle-