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quel droit Dieu me dirait-il encore : Sois saint, parce que je suis saint ? Esprit menteur, lui répondrai-je, Dieu imbécile, ton règne est fini ; cherche parmi les bêtes d’autres victimes. Je sais que je ne suis ni ne puis jamais devenir saint ; et comment le serais-tu, toi, si je te ressemble ? Père éternel, Jupiter ou Jéhovah, nous avons appris à te connaître : tu es, tu fus, tu seras à jamais le jaloux d’Adam, le tyran de Prométhée.

Ainsi, je ne tombe point dans le sophisme réfuté par saint Paul, lorsqu’il défend au vase de dire au potier : Pourquoi m’as-tu fabriqué ainsi ? Je ne reproche point à l’auteur des choses d’avoir fait de moi une créature inharmonique, un incohérent assemblage ; je ne pouvais exister qu’à cette condition. Je me contente de lui crier : Pourquoi me trompes-tu ? Pourquoi, par ton silence, as-tu déchaîné en moi l’égoïsme ? Pourquoi m’as-tu soumis à la torture du doute universel, par l’illusion amère des idées antagonistes que tu avais mises en mon entendement ? Doute de la vérité, doute de la justice, doute de ma conscience et de ma liberté, doute de toi-même, ô Dieu ! et comme conséquence de ce doute, nécessité de la guerre avec toi-même et avec mon prochain ! Voilà, Père suprême, ce que tu as fait pour notre bonheur et pour ta gloire ; voilà quels furent, dès le principe, ta volonté et ton gouvernement ; voilà le pain, pétri de sang et de larmes, dont tu nous as nourris. Les fautes dont nous te demandons la remise, c’est toi qui nous les fais commettre ; les piéges dont nous te conjurons de nous délivrer, c’est toi qui les as tendus ; et le satan qui nous assiége, ce satan, c’est toi.

Tu triomphais, et personne n’osait te contredire, quand, après avoir tourmenté en son corps et en son âme le juste Job, figure de notre humanité, tu insultais à sa piété candide, à son ignorance discrète et respectueuse. Nous étions comme des néants devant ta majesté invisible, à qui nous donnions le ciel pour dais, et la terre pour escabeau. Et maintenant te voilà détrôné et brisé. Ton nom, si longtemps le dernier mot du savant, la sanction du juge, la force du prince, l’espoir du pauvre, le refuge du coupable repentant, eh bien ! ce nom incommunicable, désormais voué au mépris et à l’anathème, sera sifflé parmi les hommes. Car Dieu,