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possédons le sens des Écritures, des Conciles et des Pères. Notre interprétation repose sur ce qu’il y a de plus certain et de plus authentique, sur la plus grande autorité qui puisse être invoquée parmi les hommes, la construction métaphysique des idées, et les faits. Oui, l’être humain est vicieux, parce qu’il est illogique, parce que sa constitution n’est qu’un éclectisme qui retient sans cesse en lutte les virtualités de l’être, indépendamment des contradictions de la société. La vie de l’homme n’est qu’une transaction continuelle entre le travail et la peine, l’amour et la jouissance, la justice et l’égoïsme ; et le sacrifice volontaire que l’homme fait à l’ordre de ses attractions inférieures est le baptême qui prépare sa réconciliation avec Dieu, qui le rend digne de l’union béatifique et de la félicité éternelle.

Le but de l’économie sociale, en procurant incessamment l’ordre dans le travail et favorisant l’éducation de l’espèce, est donc de rendre autant que possible par l’égalité, la charité superflue, cette charité qui ne sait commander à ses esclaves ; ou pour mieux dire, de faire sortir, comme une fleur de sa tige, la charité de la justice. Eh ! si la charité avait puissance de créer le bonheur parmi les hommes, depuis longtemps elle aurait fait ses preuves ; et le socialisme, au lieu de chercher l’organisation du travail, n’aurait eu qu’à dire : Prenez garde, vous manquez à la charité.

Mais, hélas ! la charité dans l’homme est chétive, honteuse, molle et tiède ; elle a besoin, pour agir, d’élixirs et d’arômes. C’est pourquoi je me suis attaché au triple dogme de la prévarication, de la damnation et de la rédemption, c’est-à-dire de la perfectibilité par la justice. La liberté ici-bas a toujours besoin d’assistance, et la théorie catholique des faveurs célestes vient compléter cette démonstration trop réelle des misères de notre nature.

La grâce, disent les théologiens, est, dans l’ordre du salut, tout secours ou moyen qui peut nous conduire à la vie éternelle. — C’est-à-dire que l’homme ne se perfectionne, ne se civilise, ne s’humanise que par le secours incessant de l’expérience, par l’industrie, la science et l’art, par le plaisir et la peine, en un mot, par tous les exercices du corps et de l’esprit.