Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/371

Cette page a été validée par deux contributeurs.

égoïsme, et les rares vertus dont notre espèce s’honore ?

Je comprends la concurrence inharmonique et ses effets irrésistibles d’élimination : là il y a fatalité. La concurrence, dans son expression supérieure, est l’engrenage au moyen duquel les travailleurs se servent réciproquement d’excitation et de soutien. Mais, jusqu’à ce que soit réalisée l’organisation qui doit élever la concurrence à sa véritable nature, elle reste une guerre civile où les producteurs, au lieu de s’entr’aider dans le travail, se broient et s’écrasent les uns les autres par le travail. Le danger ici était imminent : l’homme, pour le conjurer, avait cette loi suprême de l’amour ; et rien de plus facile, tout en poussant, dans l’intérêt de la production, la concurrence jusqu’à ses extrêmes limites, de réparer ensuite ses effets meurtriers par une répartition équitable. Loin de là, cette concurrence anarchique est devenue comme l’âme et l’esprit du travailleur. L’économie politique avait remis à l’homme cette arme de mort, et il a frappé ; il s’est servi de la concurrence, comme le lion se sert de ses griffes et de ses mâchoires pour tuer et dévorer. Comment donc, je le répète, un accident tout extérieur a-t-il changé la nature de l’homme, que l’on suppose bonne, et douce, et sociable ?

Le marchand de vin appelle à son aide la gelée, le magnin, la pyrale, l’eau et les poisons ; il ajoute par des combinaisons de son chef aux effets destructeurs de la concurrence. D’où vient cette rage ? De ce que, dites-vous, son concurrent lui en donne l’exemple ! Et ce concurrent, qui l’excite ? Un autre concurrent. De la sorte nous ferons le tour de la société, et puis nous trouverons que c’est la masse, et dans la masse chaque individu en particulier, qui, par un accord tacite de leurs passions, orgueil, paresse, cupidité, méfiance, jalousie, ont organisé cette détestable guerre.

Après avoir groupé autour de lui les instruments de travail, la matière de fabrication et les ouvriers, l’entrepreneur doit retrouver dans le produit, avec les frais qu’il aura déboursés, d’abord l’intérêt de ses capitaux, puis un bénéfice. C’est en conséquence de ce principe que le prêt à intérêt a fini par s’établir, et que le gain, considéré en lui-même, a toujours passé pour légitime. Dans ce système, la police des